PHYTOGÉNÉTIQUE

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PHYTOGÉNÉTIQUE

Depuis 1960, l’amélioration des plantes a connu, tant en France qu’à l’étranger, des résultats spectaculaires qui se traduisent par des progrès quotidiens dans notre vie. Citons, entre cent exemples, l’extension des zones de culture de maïs grâce aux hybrides précoces, la création de céréales à paille courte, tolérant de fortes fumures azotées, résistantes à la verse et assurant une productivité très élevée, ou encore l’accroissement des rendements du palmier à huile, les hybridations nouvelles chez les Citrus , la résistance à l’anthracnose chez les haricots.

Jusqu’aux années 1990, les plus grands succès n’ont pas été liés à l’utilisation des dernières acquisitions de la biologie. Ils résultent essentiellement de manipulations encore empiriques. Par contraste avec les résultats très positifs ainsi acquis, une imprécision notable quant aux mécanismes et aux bases génétiques des méthodes employées est donc à souligner. Il suffira d’en prendre pour preuve le fait que les effets de recombinaison et de dosage des gènes appartiennent au domaine de l’aléatoire.

Les sélectionneurs sont parfaitement conscients de ces lacunes et tentent de développer des méthodes nouvelles qui exploiteraient mieux les progrès de la biologie. Certaines sont déjà opérationnelles (production d’haploïdes par culture d’anthères in vitro) ou presque (production de variants), d’autres plus récentes (fusions, hétérosis cytoplasmique) sont très prometteuses et progressent de jour en jour. Des résultats étonnants sont maintenant acquis. Il reste, cependant, beaucoup à comprendre dans les mécanismes d’expression des gènes, dans les effets de redondance et de polyploïdie. Seules des recherches de base, conduites par des sélectionneurs, pourront apporter les éléments de réponse à un certain nombre des multiples problèmes qui restent posés.

1. Maîtrise du niveau de ploïdie

Un des principes de base de la génétique repose sur la continuité des nombres et des formes chromosomiques. Chaque groupe biologique possède, en effet, un nombre de chromosomes caractéristiques qui peut être considéré comme celui de l’ancêtre commun du genre et qui est d’ailleurs appelé le nombre basal x .

Beaucoup de variations se produisent à partir de ce nombre basal; généralement [cf. PLOÏDIE], ce sont des séries de multiples caractérisant un niveau de ploïdie: 1 x (haploïde), 2 x (diploïde), 4 x (tétraploïdie).

Ces niveaux de ploïdie ont une signification évolutive certaine: la valeur sélective d’un individu dépend des effets de dosage de l’information génétique, qui non seulement peut s’additionner d’un stock basal au suivant, mais surtout permet un grand nombre d’interactions alléliques, dont l’importance est soulignée par les travaux les plus récents de génétique quantitative végétale.

Les sélectionneurs ont donc cherché à acquérir la maîtrise des niveaux de ploïdie soit pour simplifier, soit pour multiplier la constitution chromosomique.

La production d’haploïdes

Des cellules haploïdes, les microspores, se forment normalement dans l’anthère des étamines; elles deviendront des grains de pollen. Ces derniers, surtout chez les Solanées et plus spécialement les Nicotiana , peuvent, dans certaines conditions de culture in vitro, se développer et donner des embryons puis des plantes haploïdes (J.-P. Bourgin et J.-P. Nitsch). Les modalités aujourd’hui mieux précisées (G. Pelletier), les analyses cytologiques obtenues (B. Norreel, B. Vazart) permettent un bon contrôle du phénomène, bien que les mécanismes intimes soient encore ignorés.

En effet, le programme «normal» de développement d’une microspore comprend les grandes étapes suivantes:

– l’isolement, par formation de la paroi à deux couches (l’intine et l’exine) qui enveloppera le grain de pollen;

– une division cellulaire qui produit deux cellules très différentes quant à leur morphologie et à leur devenir: la cellule génératrice et la cellule végétative;

– la maturation de ces deux cellules, caractérisée par une déshydratation et une biosynthèse accrue des substances de réserve (B. Vazart, J. Dexheimer). Au cours de cette phase, il peut se produire une deuxième mitose du noyau reproducteur donnant, chez certaines espèces, un pollen trinucléé.

Dans le développement de l’anthère (androgenèse) provoqué par culture in vitro, on modifie cette différenciation de façon à obtenir une cellule embryonnaire qui subira des mitoses successives et aboutira, dans un certain nombre de cas, à un embryon haploïde. Les conditions de cette réorientation sont, on l’imagine, très strictes: le prélèvement de l’anthère doit avoir lieu à un stade bien précis, au moment de la première mitose pollinique. Dans le cas de l’anthère de tabac cultivée in vitro, à la mitose dissymétrique, aboutissant à la différenciation en cellules génératrice et végétative bien spécialisées, font place des mitoses plus équilibrées où l’on distingue des noyaux dits embryonnaires de morphologie différente. Bien que la dégénérescence de la plupart des cellules de l’anthère soit de règle, certaines microspores ainsi réorientées (fig. 1 et 2) donnent, après dix ou douze jours, des petites masses embryonnaires sphériques qui peuvent poursuivre ensuite un développement normal pour aboutir, vers la cinquième ou sixième semaine de culture, à des jeunes plantules haploïdes bien différenciées avec deux cotylédons, une radicule et une gemmule.

Cette androgenèse provoquée ne se déroule pas toujours de manière aussi simple: chez de nombreuses espèces, riz, asperge, blé, orge, triticale, saintpaulia..., les mitoses de la microspore aboutissent à des cals apparemment indifférenciés à partir desquels, sur un autre milieu spécifique, il faut secondairement induire une régénération de plantes. Il est fréquent que ces processus soient accompagnés d’un relâchement de la régularité des mitoses: le niveau haploïde des cellules de départ donne alors des plantules diploïdes, triploïdes et même des polyploïdisations très importantes: 32 x (C. Raquin, B. Cateland). Pour beaucoup d’espèces, et malgré des progrès constants, le rendement de l’androgenèse reste encore faible (de l’ordre de 1 p. 100). Les traumatismes (suppression de la dominance apicale), les chocs thermiques, appliqués aux boutons floraux quelques jours avant la mise en culture des anthères, modifient les corrélations internes et augmentent la fréquence de la réorientation.

Parmi les multiples possibilités liées à cette technique – lecture directe des ségrégations gamétiques, fixation immédiate du meilleur génotype pour en faire une variété pure –, nous choisirons deux illustrations significatives:

– chez l’asperge (fig. 3), où l’androgenèse mise au point à l’université d’Orsay est entrée dans les programmes de sélection de l’I.N.R.A.: l’obtention de mâles haploïdes donnera, après doublement chromosomique, des supermâles qui pourront servir de géniteurs à des variétés entièrement mâles, ce qui est fort intéressant car, chez l’asperge, un pied mâle est nettement plus productif qu’un pied femelle;

– chez le blé, où la fixation (par la séquence haploïdisation-doublement) de nouveaux génotypes en cours de ségrégation est entreprise à grande échelle pour les sélectionneurs. Cette procédure, encore à ses débuts, devrait permettre de réduire de moitié le temps de création d’une nouvelle variété.

Le doublement chromosomique

Lors de la division cellulaire normale [cf. DIVISION CELLULAIRE], les chromosomes se clivent après une phase de synthèse qui double leur contenu d’ADN. Ils se répartissent alors en nombre égal dans les deux cellules filles. Cependant, il arrive, dans certaines parties de la plante (zone médullaire), dans des conditions particulières (cultures de tissus in vitro, par exemple) ou après traitement par certains alcaloïdes (colchicine), que les chromosomes, une fois doublés, ne réalisent pas une anaphase et une télophase normales, mais restent dans un même noyau qui possède alors un nombre double de chromosomes: on induit ainsi une autopolyploïdie. Dans divers laboratoires d’amélioration des plantes, des variétés polyploïdisées ont ainsi été sélectionnées: ray-grass, trèfles violets, navets, seigles, mufliers, rudbeckias, agératums tétraploïdes, betteraves triploïdes, luzernes hexaploïdes, etc.

Bien que des difficultés subsistent encore, les sélectionneurs possèdent donc les principes des méthodes permettant de contrôler le dosage des gènes depuis l’haploïdie jusqu’à différents degrés de polyploïdie. On commence à connaître les lois générales caractérisant ces transformations du niveau de ploïdie. Elles modifient la dimension des cellules, leur teneur en eau, donc la succulence des plantes, le nombre de ramifications, les longueurs d’entre-nœuds, le maintien de la vigueur hybride au cours des multiplications.

2. Remaniements de l’information génétique

Échanges chromosomiques intraspécifiques et interspécifiques

On sait réaliser des individus qui possèdent le stock chromosomique diploïde normal pour toutes les paires chromosomiques sauf une, qui peut être totalement manquante (nullisomique) ou représentée par un seul chromosome (monosomique), ou par trois (trisomique), ou par quatre (tétrasomique) chromosomes homologues.

C’est chez le blé que la plus grande maîtrise de ces équilibres chromosomiques a été acquise. En particulier, il est relativement facile de compléter au nombre normal la nullisomie d’une plante «receveuse» en la croisant avec un «donneur» tétrasomique pour la paire chromosomique concernée. Les équipes les plus avancées, comme celle de Riley en Angleterre, peuvent donc actuellement réaliser des hybrides où l’on substitue dans une variété un chromosome, voire parfois un fragment chromosomique, à celui d’une autre variété. On aborde ainsi une nouvelle phase dans l’hybridation où, éventuellement, on pourrait créer une variété modèle, résultant de la juxtaposition des «meilleures» paires chromosomiques prises dans une collection de lignées.

Cependant, la mise en œuvre de méthodes aussi sophistiquées nécessite un travail et un délai importants. Les ambitions des chercheurs n’en sont pas restées là et, dès maintenant, des remaniements plus profonds sont envisagés par d’autres voies telles que la fusion cellulaire et la transformation génétique.

Fusions cellulaires

Dans la recombinaison des caractères héréditaires, il a souvent été tentant de transférer les qualités d’une espèce à une autre: par exemple la pérennité et la rusticité des chiendents à la productivité et aux qualités meunières du blé, mais ce rêve et bien d’autres encore se sont évanouis devant la nécessité d’une compatibilité biologique suffisante lors de l’hybridation, ou d’une homologie rigoureuse des chromosomes, indispensable aux appariements de ces structures lors de la méiose. Or, dans le domaine des cellules animales, un événement très significatif, l’hybridation somatique entre deux lignées cellulaires différentes de souris, fut observé, en 1960, dans les laboratoires de G. Barski, S. Sorieul et F. Cornefort à Villejuif.

Sous l’impulsion de B. Ephrussi, les succès de cette technique se sont développés: augmentation de la fréquence des hétérocaryons (cellules possédant deux noyaux différents), extension de l’hybridation à des espèces éloignées (homme 憐 souris, homme 憐 hamster). Aujourd’hui, cette hybridation entre cellules animales, qui est suivie d’un rejet de certains chromosomes, permet la compréhension des interactions entre le noyau et le cytoplasme (co-expression, extinction, dosage des gènes) et surtout la localisation des caractères sur les chromosomes humains.

Un obstacle spécifiquement végétal s’opposait cependant à l’union des cellules: la paroi cellulosique qui forme un caisson rigide dont il faut se débarrasser pour obtenir une cellule «nue», le protoplaste, équivalente à la cellule animale.

Par des traitements enzymatiques décrits par E. C. Cocking (1960), puis par A. Ruesink et R. V. Thiman (1965), on a pu réaliser une attaque de cette paroi. Les principes du traitement sont simples, encore que l’obtention de protoplastes viables soit extrêmement délicate: on «digère» les parois cellulosiques et pectiques dans un milieu légèrement plasmolysant (sucrose, manitol, sorbitol, etc.).

Ces protoplastes peuvent être obtenus à partir de tissus variés: cotylédons, cambium, pétales, culture in vitro..., mais le mésophylle constitue la source le plus fréquemment utilisée.

Dès 1970, E. C. Cocking avait mis en évidence des fusions spontanées entre protoplastes de méristèmes racinaires traités au nitrate de sodium. En 1971, on arrivait à régénérer une plante entière à partir d’un protoplaste: les techniques ouvrant la voie à des transferts génétiques par fusion somatique étaient donc disponibles. De nombreux travaux les illustrèrent en perfectionnant les rendements de l’opération, notamment en utilisant le PEG (polyéthylène glycol) comme agent fusionnant. Parmi les expériences les plus marquantes, K. L. Giles (1972), entre deux maïs, W. A. Keller, entre vesce et soja, ont obtenu des complémentations cellulaires et des hétérocaryons viables; P. S. Carlson reconstitue, à partir d’une fusion entre protoplastes de Nicotiana langsdorfii et de N. glauca , une plante ayant tout à fait les caractéristiques de l’hybride amphidiploïde sexué réalisé par ailleurs entre ces deux espèces: identité dans la forme des feuilles, le type de pilosité, dans les isozymes des peroxydases, obtention de tumeurs spontanées caractéristiques de cet hybride. Il se pourrait néanmoins que la production de protoplastes ne soit pas valorisée par des hybridations somatiques interspécifiques. En revanche, ces dernières seraient l’instrument idéal pour tenter des transformations génétiques . R. D. Hotchkiss (1971) résume ainsi le phénomène: «Des molécules d’ADN donneur peuvent transférer des déterminants génétiques étroitement «linkés» dans les cellules receveuses compétentes, donnant un intermédiaire qui (chez les bactéries tout au moins) est un hybride moléculaire d’ADN dans une cellule qui est hétérozygote entre l’organisme receveur et quelques marqueurs du donneur.» Dans certaines conditions, cette pénétration de l’ADN exogène (naturellement très rare) se réalise avec une fréquence non négligeable.

L. Ledoux (1969 et 1971) fait absorber de l’ADN marqué d’Escherichia coli par une petite crucifère: l’Arabidopsis . A. J. Bendich (1971) retrouve, après dix-sept heures d’incubation, 0,5 p. 100 d’ADN exogène dans des cellules de tabac, K. Ohyama et O. L. Gamborg (1973), dans l’Ammi visnago , la carotte et surtout le soja, mettent en évidence, eux aussi, la pénétration en quantité importante de l’ADN d’E. coli marqué au carbone 14.

Dans le même ordre d’idées, M. R. Davey et E. C. Cocking ainsi que R. J. Bogers ont pu observer des protoplastes englobant une bactérie; la pénétration de bactéries du genre Rhizobium permettrait de réaliser in vitro la symbiose des légumineuses.

En marge de la transformation, les échanges d’organites cytoplasmiques par des protoplastes fusionnés pourraient être, eux aussi, une technique intéressante. C’est ainsi que Carlson a réussi à faire pénétrer et «répliquer» des chloroplastes verts fonctionnels dans des protoplastes d’un mutant albinos de tabac; Giles a réussi une opération de même ordre sur des protoplastes de maïs. Cette technique, déjà réalisée sur des algues unicellulaires, est d’un très grand intérêt pour les végétaux cultivés, surtout si on peut l’étendre aux mitochondries.

L’enthousiasme lié à ces réussites s’est cependant tempéré. Il est vraisemblable que les discordances entre stocks génétiques fusionnés limiteront fortement les types d’hybridations somatiques fructueux. En revanche, les fusions semblent se révéler comme une excellente voie de transfert de matériel cytoplasmique.

3. Interférences noyau-cytoplasme; hérédités cytoplasmiques

Les processus de fusion de protoplastes, entre autres, ont amené les chercheurs à mieux étudier le cytoplasme comme voie d’expression, de contrôle et de régulation de l’information génétique. Mais on sait maintenant, en outre, que les membranes cytoplasmiques possèdent leurs propres unités d’information génétique. Les remarquables travaux de R. Sager et de ses collaborateurs sur l’algue monocellulaire Chlamydomonas ont permis d’établir une carte génétique d’un chromosome du chloroplaste. Les micro-injections de mitochondries réalisées par E. G. Diakumakos entre une souche sauvage de Neurospora et un mutant à croissance lente généralisent et précisent les données obtenues sur les caractères portés par les mitochondries de la levure. Les travaux de T. M. Sonneborn, J. Beisson, G. Adoute, sur la paramécie indiquent que de nombreux éléments membranaires sont porteurs d’information génétique. Ces «gènes» cytoplasmiques seraient d’ailleurs sensibles à des substances mutagènes spécifiques (acriflavine, bromure d’éthidium, trypaflavine, etc.).

De nombreuses analyses d’hérédité cytoplasmique chez les végétaux supérieurs sont aujourd’hui classiques: Correns sur Mirabilis jalapa , E. Baur et R. A. E. Tilney-Basset sur Pelargonium , P. Michaelis sur Epilobium , M. M. Rhoades sur maïs.

En France (1977), G. Belliard et G. Pelletier ont pu obtenir, après fusion somatique entre génotypes de tabac, de nouvelles formes végétales caractérisées par des nouveaux équilibres nucléo-cytoplasmiques apparemment stables et transmissibles.

Stérilité mâle

Les cas de stérilité mâle dont l’hérédité est cytoplasmique présentent un intérêt majeur à la fois pour l’amélioration des plantes et pour l’analyse de l’hérédité cytoplasmique: ils permettent, en effet, de réaliser des variétés hybrides (donc souvent très productives) chez des espèces où la biologie florale normale ne favorise pas la fécondation croisée ou rend fastidieuse la castration artificielle. Parmi de nombreux cas d’utilisation de cette stérilité, citons le maïs (bien qu’elle y pose quelques problèmes annexes), la betterave à sucre, le sorgho, le blé, les espèces potagères et florales (oignon, carotte, pétunia, etc.).

Un grand nombre d’arguments convergent pour localiser dans les mitochondries le site de cette stérilité (A. Bervillé, Y. Demarly). Une partie des mitochondries de ces plantes présenterait un défaut métabolique qui se traduirait par un dérèglement des bilans énergétiques (Y. Demarly).

On connaît des gènes nucléaires qui restaurent cette stérilité. On peut donc rendre fertiles – et ainsi obtenir un excellent rendement – des hybrides F1 (de blé, de maïs, de tournesol, etc.) obtenus en croisant une lignée mère à cytoplasme «mâle-stérile» par une lignée père sélectionnée pour sa forte aptitude à la combinaison avec cette lignée femelle et apportant les gènes de restauration de fertilité.

Les sélectionneurs ont cependant rencontré plusieurs obstacles dans l’utilisation de cette voie. D’une part, des caractéristiques défavorables semblent parfois liées au nouveau cytoplasme (baisse de rendement, sensibilité aux maladies, déficiences chlorophylliennes); d’autre part, la réunion dans un même champ de la lignée mâle et de la lignée femelle (mâle-stérile) ne suffit pas pour obtenir en quantité la semence hybride; il faut encore vaincre les difficultés d’un pollen mal transporté par le vent (pollens lourds du blé) ou de l’absence d’un insecte pollinisateur adapté (radis japonais, soja, etc.). Enfin, l’hybride produit manifeste une vigueur générale qui se traduit notamment par une taille élevée des plantes, mais cette caractéristique n’est pas toujours avantageuse (plantes florales, céréales qui versent facilement, etc.); il faut donc pouvoir associer chez l’hybride des gènes réducteurs de taille. Les meilleures réussites ont été obtenues avec le nanisme des blés, des sorghos, des mils. Par contre, l’analyse fine de l’évolution de ces cytoplasmes et de leurs interactions avec le noyau entraîne de nouvelles conceptions sur la régulation de l’expression génétique.

4. Expression phénotypique: structuration et variabilité d’expression des gènes chez les végétaux supérieurs

À mesure que les connaissances sur la structuration de l’information génétique chez les eucaryotes progressent, se dégage la notion de groupes de gènes «linkés» possédant des sous-unités redondantes. À un stade donné du développement, une seule de ces sous-unités fonctionnerait, les autres restant silencieuses; ces unités d’expression coordonnée constituent la théorie des linkats (Y. Demarly). Cependant, à travers les états cytoplasmiques changeants (évolution saisonnière, rythmes alternatifs du jour et de la nuit, âge), l’expression génétique manifeste une certaine variabilité. On sait, par exemple, à la suite des expériences de D. Aghion-Prat, que le bouturage d’une base de tige de tabac ne régénère pas le même phénotype de plante que celui des entre-nœuds proches de l’inflorescence. Le choix raisonné de la partie de la plante destinée à la multiplication végétative (cf. MORPHOGENÈSE VÉGÉTALE, MULTIPLICATION VÉGÉTATIVE) permet donc d’accroître la productivité ou la qualité ou le type de production de certaines espèces (ananas, artichaut, poivrier, etc.); le choix du greffon peut avoir une importance tout aussi grande (hévéa).

Dans le même ordre d’idées, les extrémités méristématiques présentent des qualités toutes particulières, puisque souvent leurs cellules sont moins contaminées par les viroses: la régénération de plantes à partir de culture de méristèmes permet donc d’offrir aux producteurs des plants sains (œillets) et même de régénérer certaines variétés qui avaient complètement disparu à la suite d’attaques de viroses trop importantes. En outre, la culture de méristèmes in vitro présente, lors de la régénération, l’avantage de donner de jeunes plantes qui manifestent un excellent niveau de vigueur assez proche de l’hétérosis.

De telles opérations de bouturage, greffe, culture de méristèmes constituent un mode de reproduction «conforme» dont les marges de variation sont relativement limitées. Mais on possède actuellement des moyens plus puissants de modification des états épigéniques (culture in vitro, fusions, micro-injections d’organites...). On peut même parfois orienter ces modifications en utilisant des milieux de culture sélectifs. Les travaux de A. Lutz (1969) et de J. Mousseau (1970) sur le tabac montrèrent cette possibilité. M. Sibi, en utilisant une variété homozygote de laitue, compare des plantes obtenues par reproduction sexuée et des descendances de plantes régénérées à partir des cals cultivés in vitro sous une forme non morphogène. Dès le départ, certaines descendances de plantes régénérées se distinguent des descendances sexuées stables par des caractères morphologiques et quantitatifs. M. Sibi a vérifié que ces caractères variants avaient une rémanence à travers les générations sexuées et se transmettaient préférentiellement par voie cytoplasmique.

Des résultats de même nature ont été obtenus sur des plantes régénérées après culture d’anthères (riz, orge, blé, navette). Ils sont en accord avec la théorie des linkats. L’exploitation de ces phénomènes serait évidemment une voie de choix pour l’amélioration des plantes, puisqu’elle permettrait, à partir d’une variété possédant des qualités génétiquement définies, d’extraire un certain nombre de types proches mais variants. L’intérêt de la production de variants in vitro s’est d’ailleurs largement accru lorsqu’on a découvert leur relation avec l’hétérosis.

On peut expliquer certaines des manifestations de l’hétérosis (vigueur liée à l’état hybride) par des systèmes de gènes nucléaires dominants ou superdominants. Cependant, une interprétation plus complète s’esquisse en faisant intervenir la régulation cytoplasmique (Y. Demarly): tout vieillissement cytoplasmique s’accompagnerait d’une spécialisation (et donc d’une limitation) des gènes déréprimés. La réjuvénation des cytoplasmes liée soit à l’hybridation entre des géniteurs non consanguins, soit aux modifications par culture in vitro, soit aux techniques de fusion ou d’injection, produit donc des effets d’hétérosis d’origine cytoplasmique (retour à une totipotence d’expression des linkats). Cet accroissement d’activité peut être mesuré au niveau des organites cytoplasmiques et notamment des mitochondries: on a alors une prédiction précoce du niveau de vigueur que pourra atteindre la plante adulte (intérêt pour les espèces pérennes ligneuses). On peut aussi exploiter ces résultats en induisant un hétérosis cytoplasmique chez des lignées homozygotes, donc génétiquement stables. Les travaux de C. Bergounioux sur le pétunia cultivé in vitro apportent la confirmation de cette interaction noyau-cytoplasme «réactivée» par culture in vitro. La vigueur des croisements entre variants cytoplasmiques de laitue en est une autre illustration. L’intérêt essentiel de telles réussites réside dans la possibilité de manipulations cytoplasmiques de la vigueur des individus végétaux. On voit là l’énorme impact économique d’une sélection qui utiliserait ces techniques: il est donc urgent de préciser et de généraliser ces conclusions.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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